Hector Guimard (1867-1942)
A l’âge de 15 ans Hector Guimard quitte sa ville natale de Lyon pour entrer à l’école nationale des arts-décoratifs de Paris, puis à l’école des Beaux-Arts. Sa formation lui révèle les théories de Viollet-le Duc dont Guimard ne cessera de se réclamer tout au long de sa carrière. Il loge alors chez une parente, avenue de Versailles et c’est d’ailleurs sur l’extrémité du terrain de sa tante, en bord de Seine, qu’il construisit en 1888 sa première oeuvre, un petit café-concert-restaurant sur le quai appelé alors d’Auteuil. C’est grâce à sa parente que le jeune Guimard se taille un réseau de relations parmi la bourgeoisie industrielle du 16 ème arrondissement, cultivée et avide de modernité. Guimard obtiendra par la suite un grand nombre de commandes dans cet arrondissement.
Le Castel Béranger, qui doit son nom au hameau Béranger, petite voie privée sur lequel donne une aile de l’immeuble, marque le début de la carrière du jeune architecte et sera déterminant pour son succès futur. Choisi par madame Fournier, propriétaire d’un terrain sis au 14 rue La Fontaine, Hector Guimard a carte blanche pour réaliser un immeuble d’habitation à loyer modéré. Il dessine un ensemble composé de 3 bâtiments disposés en U autour d’une cour-jardin en ayant chacun son escalier et son ascenseur. Ce bâtiment apparait dès sa conception en 1895 comme une stricte application des principes de Viollet-le-Duc. En effet, en sont totalement exclus la planéité et la symétrie condamnés par le théoricien en raison de leur caractère mensonger. « La symétrie n’est nullement une condition de l’Art, comme plusieurs personnes affectent de le croire, c’est une habitude des yeux, pas autre chose » (« Habitations modernes 1877 »). Exprimées par des projections, des retraits, des saillies, les articulations des façades se révèlent non seulement d’une lecture aisée mais expriment aussi le strict rapport qui existe entre elles et l’agencement intérieur. Par exemple les salles à manger sont élargies par des bow-windows, les cabinets de toilette engendrent des encorbellement, les montées d’escaliers sont immédiatement repérables à la forme et à la disposition décalée des fenêtres. De manière générale, systématique même pourrait on dire, dessins et dimensions des ouvertures traduisent une hiérarchie tempérée par le jeu coloré des matériaux. A ces principes esthétiques s’ajoutent des principes économiques. Guimard construit un immeuble à loyer modéré, aussi la pierre de taille, indispensable mais onéreuse, ne peut avoir qu’une place restreinte. Elle assure la construction des parties du gros oeuvre, soubassement, bandeaux-arcs, consoles, encorbellement et elle est plus largement disposée en façade sur rue là où se portent les regards. La meulière, d’un coût peu élevé est réservée aux bâtiments en retour, sur le hameau. Quant à la brique rouge, grise ou émaillée de tons vert, bleu ou rose, elle apparait dans les ailes qui offrent le plus de légèreté et dans les parties hautes, bow-windows, avant-corps…Selon les principes de Viollet-le-Duc il y a la volonté de ne rien dissimuler des nécessités de la construction. Les poutrelles métalliques sont laissées apparentes, la structure métallique acquiert une valeur décorative ! Dans le même esprit, les hippocampes
indiquent l’emplacement de pièces maitresses que sont les tirants.
Les plans sont entièrement dessinés et le chantier entamé quand le jeune architecte en 1895 part en Belgique à l’invitation de l’architecte Victor Horta. La conversion de Guimard à l’Art-Nouveau se fait durant ce voyage à Bruxelles où il visite l’hôtel Tassel tout juste achevé. C’est un véritable choc pour Hector Guimard qui, lorsqu’il rentre à Paris, reprend toute la décoration du bâtiment dans une véritable frénésie. Sur les volumes du gros oeuvre se répand à profusion la ligne organique en coup de fouet importée de Belgique et que l’on retrouve dans la ferronnerie, la fonte, les vitraux etc…Guimard reprend également la décoration intérieure et dessine tout, le papier peint, les lambris le mobilier intégré. Mais si Hector Guimard s’inspire de Horta pour certains éléments de sa décoration il parvient à une rapide interprétation toute personnelle de la ligne belge comme la tôle découpée ou encore la célèbre porte d’entrée.
Le Castel Béranger achevé en 1898, est primé au premier concours des façades organisé par la ville de Paris la même année. C’est le succès de cet immeuble qui va faire obtenir à Guimard le marché des bouches de métro, symboles de l’Art Nouveau à Paris.
Mais c’est bien le Castel Béranger qui apparait comme la première manifestation de ce qu’on appelle Art Nouveau à Paris. C’est en tout cas la plus flamboyante des multiples tentatives de trouver un art moderne au tournant du siècle. Avec cet immeuble manifeste, Hector Guimard est sans doute le plus célèbre des protagonistes de ce nouveau style, largement basé sur l’observation de la nature, d’un point de vue structurel et décoratif. Partout où cela est possible la ligne droite est bannie. La ligne souple, l’ondulation , l’arabesque caractérisent l’Art Nouveau. La flore et la faune sont sources d’inspiration et les couleurs délicates. Révolutionnaire et international mais très court dans le temps (le mouvement s’éteindra au début de la première guerre mondiale) le style Art Nouveau a eu aussi ses détracteurs. Le mouvement souffrit des critiques qui qualifièrent le style Art Nouveau de style « nouille » ou « os de mouton » ou « rastaquouère » (!) de la part d’une phalange d’écrivains traditionnalistes. Le Castel Béranger n’échappa pas aux violentes condamnations d’où son surnom de « Castel Dérangé » ou « de maison des diables ». Ce dernier qualitatif est dû au fait qu’il y a, du rez-de-chaussée à la toiture une folle ascension de figures grimaçantes, de groupes fantastiques où l’artiste voulut peut-être représenter des chimères mais où la population a surtout vu des démons et qui font se signer à vingt pas toutes les commères du quartier! L’immeuble de l’actuelle rue Jean de la Fontaine n’en demeure pas moins l’un des plus bel exemple à Paris du style Art Nouveau et fait parti des immeubles iconiques à connaître.
Classé MH (monument historique) depuis 1992.
Cet immeuble est à découvrir dans la visite « Sur les pas d’Hector Guimard… »