Henri Sauvage et l’immeuble à gradins de la rue Vavin (Paris 6)

Par défaut

Henri Sauvage (1873-1932)

Henri Sauvage est l’une des figures les plus attachantes de l’architecture française du premier tiers du XX ème siècle. Dès sa jeunesse il connut une renommée internationale de grand rationaliste et apparut comme un précurseur ayant ouvert la voie aux architectes de la génération suivante comme celle des modernes.

Le personnage et son oeuvre sont complexes: formé à l’architecture à l’école des Beaux Arts de Paris entre 1892 et 1903 il quitte cependant l’école sans l’obtention de son diplôme et se revendique autodidacte. L’influence de l’architecte Frantz Jourdain auteur de la Samaritaine et ami de la famille sera également déterminante. Henri Sauvage entame sa vie professionnelle en réalisant des tentures décoratives et en créant des pochoirs pour l’entreprise familiale. Son activité de décorateur et de créateur de meubles l’amène à réaliser en 1902, l’un de ses chefs-d’oeuvres, la villa Majorelle à Nancy pour l’ébéniste Louis Majorelle. Avec cette réalisation, Sauvage apparait comme l’un des protagonistes de l’Art Nouveau mais Henri Sauvage est inclassable; il est engagé avant tout dans l’éthique de « l’art dans tout » et de « l’art pour tous ». Ainsi revendique t’il qu’il n’est aucun domaine de la production humaine dont l’art puisse être absent et qu’il n’est aucune forme d’art dont le peuple puisse être privé. C’est ainsi qu’avec Charles Sarazin son associé, il crée en 1905 la Société des logements hygiéniques à bon marché. Ils réaliseront 6 immeubles de logements ouvriers à Paris, démontrant qu’il est possible de construire des logements de qualité à moindre coût.

Le système de construction à gradins inventé en 1909 et breveté en 1912 constitue aux yeux de Sauvage comme une solution radicale à l’amélioration de l’hygiène du logement, une réponse à l’insalubrité, à la lutte contre la tuberculose et à la surdensité des villes. C’est cette théorie constructive qui contribua à son statut d’annonciateur du mouvement moderne.

Le système à gradins se caractérise par le fait que les étages successifs sont en retrait les uns par rapport aux autres, de bas en haut de la façade dans le but de créer au niveau de la rue, un cône très ouvert d’air et de lumière et de rendre les habitats plus sains. Ce système de gradins dérive des multiples réflexions menées par les hygiénistes concernant l’ensoleillement et l’aération des logements. Sauvage a transposé à la construction urbaine courante, une solution nouvelle utilisée par les sanatoriums; les étages sont en retrait les uns par rapport aux autres dégageant des terrasses destinées aux cures d’air et de soleil des malades. Le système de la construction en gradin est principalement conçu pour améliorer l’hygiène des classes laborieuses mais l’engouement de la bourgeoisie pour cette typologie amène Henri Sauvage dès 1910 à appliquer ce principe constructif à un programme de logements de luxe ici dans le 6 ème arrondissement.

Le système à gradins apporte 2 prestations essentielles à l’échelle de chaque logement : la disparition théorique des pièces d’habitation qui prennent air et lumière sur la cour et la présence tout aussi théorique d’une terrasse-solarium-jardin permettant l’ouverture de chaque logement sur l’extérieur. Ainsi verrait-on en ville un fragment de la cité-jardin rêvée et on pourrait alors pallier à la carence d’espaces verts en ville.

En ce qui concerne la structure de l’immeuble, il est en béton armé (vivement salué par Auguste Perret), ce qui permet de supporter le porte à faux de chaque étage sur le précédent et de ménager un vaste volume central. Il s’avère que le béton armé à cette époque est un matériau sensible aux intempéries aussi reçoit il un habillage de carrelage blanc qui satisfait aux exigences d’imperméabilité, et d’hygiène avec cette surface lavable et donc antiseptique. Elle satisfait également le désir chez Sauvage d’arborer une esthétique nouvelle. Ce carrelage, de type « métro » d’Hippolyte Boulanger, est immaculé et ici discrètement souligné de carreaux bleus.

L’immeuble de la rue Vavin est la première application du système de construction à gradins. Il y eut 3 projets avant que le permis de construire ne soit enfin délivré; le premier projet, intitulé « maison à gradins sportive » à cause d’une salle d’escrime prévue dans le volume central, est refusé notamment pour dépassement de gabarit en hauteur; il en sera de même du 2 ème projet. Il faut attendre le 3 ème projet en septembre 1912 pour que le permis de construire soit donné mais ce dernier projet est moins ambitieux par rapport aux premiers dessins. La suppression des étages est compensée financièrement par l’adjonction d’une aile en T par rapport à la façade sur rue et placée entre deux cours. Les appartements de cette aile (cachée depuis la rue) concentrent les inconvénients du projet : vues limitées à deux cours, éclairement médiocre, pas de terrasse. Les équipements qui devaient se tenir dans le volume central sont abandonnés. Mais l’élévation en gradin sur rue est conservée ainsi  que l’image novatrice du bâtiment. Alors que s’achève le bâtiment de la rue Vavin en 1913, Henri Sauvage entame l’étude, pour la ville de Paris, d’un HBM à gradins, à construire dans le 18 ème arrondissement. L’immeuble à gradins de la rue des Amiraux sera la seule commande publique d’Henri Sauvage, qui pourtant participera à de nombreux concours; il sera toujours évincé malgré ses compétences sans doute parce qu’il n’appartenait pas au sérail des diplômés des Beaux-Arts.

Pour conclure, le 26 rue Vavin annonce sur le plan formel le mouvement moderne mais morphologiquement il reste hybride, une sorte de rapport de  force entre l’idéal de l’architecte et le règlement de la voirie parisienne.

Immeuble ISMH depuis 1975

Ce bâtiment est présenté lors de la visite : « le jardin du Luxembourg et immeubles remarquables »