Jules Astruc (1862-1955)
Jules Astruc est un architecte assez méconnu sans doute à cause du peu d’archives dont on dispose sur son travail. Né à Avignon en 1862 d’un père lui-même architecte, Astruc arrive jeune à Paris pour étudier l’architecture. Comme son père avant lui, il entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1881 et étudiera dans l’atelier du brillant architecte Victor Laloux (auteur de la gare d’Orsay), un fanatique de l’éclectisme qui savait se servir du fer. Diplômé en 1889 Jules Astruc n’avait cependant pas tenté le célèbre concours de Rome. Architecte voyer du V ème arrondissement de Paris, un poste d’une relative importance, Jules Astruc construisit alors des chapelles, des châteaux, des écoles et des maisons particulières. A Paris, outre l’église ND du Travail (1901) il est l’auteur de l’église ND du Liban (1894) rue d’Ulm et de l’église St Hippolyte (1911 et 1924) avenue de Choisy.
Le quartier de Plaisance dans le XIV ème arrondissement connait au XIX ème siècle un formidable essor démographique passant de 2000 habitants en 1850 à 35000 en 1896, conséquences de la révolution industrielle à Paris. Pour répondre aux besoins d’une population ouvrière pauvre et réconcilier les travailleurs et la religion, le père Soulanges-Bodin curé depuis 1896 d’une petite église rue du Texel devenue trop étroite, souhaite financer une nouvelle église plus vaste « où les ouvriers se sentiraient chez eux ». Forte personnalité, le curé Soulanges-Bodin ardent défenseur d’un catholicisme social, lance alors une souscription nationale en 1897 afin de réunir sur le terrain de la religion les travailleurs de toutes les classes. L’église sera édifiée sous le vocable de ND du Travail en leur honneur. Un terrain de 2000 m2 donnant sur les rue Vercingétorix et Guillemot fut offert à la paroisse et l’architecte Jules Astruc fut choisi par le curé pour la construction de la nouvelle église. Elevée entre 1899 et 1901 la nouvelle église pourrait passer inaperçue tant son aspect extérieur est ordinaire, presque banal. Elle est en maçonnerie classique, de style néo-roman, d’une simplicité totale que ni sculptures, ni ornement n’égayent les pierres. Au centre une fenêtre vide est creusée; un manque de fond ne permis pas la mise en place de vitraux et une curieuse horloge fut placée afin de donner l’heure aux ouvriers. A droite, dans un portique de béton aménagé au sommet de la tour d’escalier en 1976, la cloche de Sébastopol est une prise de guerre de 1854 lors de la guerre de Crimée. Elle fut offerte à l’église de Plaisance par Napoléon III en 1861.
L’intérieur de l’église tranche avec l’extérieur tant elle apparait monumentale et insolite avec sa charpente de métal. L’abbé Soulanges-Bodin décide avec l’architecte d’une construction moderne qui devait rappeler à l’ouvrier son usine afin qu’il se sente chez lui, dans son milieu habituel, entouré de matériaux de fer et de bois que sa main transforme tous les jours, et non une architecture intimidante. L’église fut conçue en fonction d’impératifs budgétaires restreints et d’opportunités du moment : le démontage de l’ancien pavillon de l’Industrie de l’exposition universelle de 1855 (pour faire place au Grand palais de la future Exposition Universelle de 1900) rendait disponible des moellons et des charpentes métalliques. Contrairement aux églises de l’époque qui utilisaient des armatures de fer mais les cachaient, la charpente de ND du Travail est laissée à nue, un scandale pour beaucoup…mais l’abbé sut convaincre les plus récalcitrants et cela d’autant plus que le plan basilical n’a rien de très révolutionnaire. L’édifice est à trois nefs et couvertes de voûtes métalliques. Les tribunes, rappelant celles des églises basques dont est originaire le curé, sont portées par des arcs en anse de panier qui délimitent de petites chapelles décorées de motifs floraux Art Nouveau alors très à la mode. Les colonnes métalliques supportant les fermes sont les véritables colonnes de nos églises classiques. L’abbé vantait l’avantage de ces poteaux fins laissant une bonne visibilité vers le choeur contrairement aux lourd piliers de pierre des églises romanes ou gothiques. L’église, achevée en 1901 fut alors aménagée et décorée de grandes toiles semi-circulaires réalisées dans les dix chapelles tout autour de l’église. Elles sont
l’oeuvre du peintre Joseph Uberti et d’Emile Desarche et ont pour thème les saints patrons des travailleurs avec par exemple la chapelle de la Sainte Famille où Joseph représente le patron des menuisiers et charpentiers ou la chapelle St Eloi patron des métallurgistes. Eloi saint patron de tous ceux qui travaillent les métaux a toute sa place ici où le fer est omniprésent. Saint Luc, patron des artistes et des peintres rappelle la présence, dans ce quartier proche de Montparnasse, de nombreux artistes installés ici.
La chapelle de la Vierge dans le choeur a été dotée d’une sculpture représentant Notre Dame du Travail. Oeuvre de Marie-Joseph Lefevre la Vierge est représentée sur un socle muni des symboles des divers métiers manuels représentant les différentes corporations ouvrières du quartier réunis au pied de leur sainte patronne. Au dessus de la statue une peinture murale épouse la forme de la coupole et est composée des 2 toiles: sur 2 m de haut et 9 m de large cette oeuvre magistrale est un hymne au travail et à la charité. Elle fut réalisée en 1904 par Félix Villé et s’intitule « ND du travail, secours des affligés » avec d’un côté le travail personnalisé par des bergers, agriculteurs, forgerons, hommes de loi et de l’autre côté les oeuvres de charité, la libération des captifs, l’aide aux pauvres, l’éducation des jeunes, l’assistance aux malades. Deux anges de chaque côtés accueillent les processions pour les introduire auprès de la Vierge.
Dans le choeur les stalles font parties du mobilier d’origine tandis que l’autel, les ambons et chandeliers ont été crées en 1992. Modernes sont également une grande sculpture de Michel Serraz « la main de Dieu portant Adam et Eve » (1990) et le chemin de croix en bois (1993). Enfin, les vitraux ont été réalisés en 1901 par la société artistique de peinture sur verre de la rue ND des Champs. Seul le vitrail central de la Vierge Marie portant son enfant est d’origine antérieure puisqu’il provient de l’ancienne église de Plaisance aujourd’hui disparue.
Souvent méconnue des parisiens eux-même, l’église ND du Travail mérite le détour et vous laissera un souvenir inoubliable. Véritable ode aux ouvriers du quartier d’alors, le souvenir perdure car chaque année, le deuxième dimanche d’octobre, les corporations y déposent toujours leurs outils.
Classé Monument Historique en 2017
Cette église est présentée lors de la visite : Autour de Montparnasse