Libéral Bruant et l’hôpital de la Salpêtrière (Paris 13)

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Libéral Bruant (1636-1697)

Libéral Bruant est l’un des représentants majeurs du classicisme français à travers une architecture dépouillée visant la sobriété de l’ornement et la commodité dans une harmonie mathématique.

Issu d’une longue lignée d’architectes, élève de l’architecte François Blondel, il devient en 1663 architecte du Roi et à ce titre conduit des chantiers à Paris, Versailles, Soissons et Amiens. Maitre d’oeuvre de la basilique ND des Victoires à Paris il se lie au Duc d’York, cousin germain de Louis XIV et futur Jacques II d’Angleterre pour lequel il conçoit en 1662 les plans du château de Richemond en Angleterre. A la fois architecte et entrepreneur il est très actif dans la rénovation du quartier du marais à Paris où il construit plusieurs hôtels particuliers. En 1669 il établit les plans et dessins et conduit (avec Louis Le Vau) les travaux de l’hôpital des mendiants de la Salpêtrière et de sa chapelle. Sélectionné par Louis XIV parmi huit projets il conçoit les plans et conduit les travaux de l’hôtel des Invalides de 1670 à 1676. Il rejoint l’académie Royale d’architecture dont il est l’un des 8 membres fondateurs en 1671. Il se consacre alors à la réalisation de villas aristocratiques et hôtels particuliers à Paris et Versailles. Il construit à nouveau sa demeure qui deviendra l’hôtel Libéral Bruant rue de la Perle dans le Marais. Il fut le professeur de Jules-Hardouin Mansard qui achèvera les travaux de l’église et du dôme des Invalides.

Par l’ensemble de son oeuvre, comme par ses interventions à l’académie Royale d’architecture, Libéral Bruant fut l’un des principaux architectes du règne de Louis XIV. Il contribua à créer la typologie de la maison de maitre en la dotant de nombreuses innovations techniques et distributives caractéristiques des hôtels particuliers du XVII ème siècle.

Au lendemain de la Fronde (période de troubles graves qui frappèrent le royaume de France pendant la minorité du roi Louis XIV) la misère est grande à Paris et les autorités se trouvent devant un véritable problème d’assainissement de ses rues véritables coupe-gorges. A ce problème s’ajoute celui du vagabondage : plus de 40000 personnes errent dans les rues de la capitale. La sécurité n’est pas assurée et la prostitution fleurit. Louis XIV, sous l’influence de Vincent de Paul qui déclarait « Nous considérons ces pauvres mendiants comme membres vivants de Jésus Christ et non pas comme membres inutiles de l’Etat », décide de la création par l’Edit de 1656 d’un hôpital, vaste programme à la fois humanitaire, social, architectural et urbanistique. Cet hôpital général est chargé d’accueillir de gré ou de force tous les sans-logis de Paris; il sera donc un compromis entre charité chrétienne et nécessité politique de maintenir l’ordre public. Le terrain choisi était à l’origine un terrain vague, abandonné aux errants puis du fait de l’absence de tout voisinage consacré à la fabrication de la poudre grâce au salpêtre. C’est donc bien le salpêtre qui donna son nom au futur hôpital après avoir porté le nom de petit arsenal où se dressaient de nobles bâtiments.

A la Salpêtrière seront accueillies les femmes tandis que les enfants seront logés à la Pitié et les hommes à Bicêtre. La Salpêtrière est conçue pour devenir un vaste hôpital, une véritable ville dans la ville et c’est d’abord l’architecte Louis Le Vau qui conçoit un ensemble de bâtiments autour d’une chapelle. A sa mort en 1670 c’est Libéral Bruant qui reprend le projet et dessine l’élévation de la superbe et noble façade principale sur cour annonçant par ses lignes la façade de l’hôtel des Invalides qui sera exécutée un an plus tard. Le plan général a pour point central la chapelle en croix grecque et forme un vaste carré distribué par 4 cours fermées. Seule la chapelle et l’aile septentrionale sont alors édifiées intégralement. L’aile est marquée en son centre par le portique d’entrée de la chapelle et par deux passages cochers de part et d’autre. L’élévation est à deux niveaux principaux surmontés d’un attique et de combles brisées et l’ensemble est en pierre de taille appareillée. A gauche lorsqu’on regarde la façade principale l’aile est dite » Mazarin », en l’honneur du cardinal qui a financé une grande partie du chantier. A l’époque le financement des constructions publiques se faisaient souvent par voie de donation; les bâtiments recevaient alors le nom de leurs donateurs. Mazarin fit ajouter au fronton de l’aile portant son nom ses armes: le faisceau des licteurs et la hache surmontée du chapeau du cardinal. Dans la Rome antique (Mazarin est d’origine Italienne) le faisceau du licteur est constitué d’un ensemble de liens liés en cylindre autour du manche d’une hache. C’était un emblème de l’autorité des magistrats de la République Romaine et le licteur (l’officier public) le portait sur son épaule gauche. Le blason est entouré par la statue de la charité (femme allaitant) et de l’Espérance (ancre marine car symbole de l’espérance des premiers chrétiens selon l’Epître aux Hébreux de St Paul). L’aile à droite du bâtiment Mazarin et dans son prolongement a été construit plus tard, au XVIII ème siècle grâce au don de la marquise de Lassay afin de recevoir les femmes dites « insensées »… C’est l’actuelle division Lassay construite par l’architecte Antoine Jacques Payen vers 1758 mais selon le dessin de Libéral Bruant afin d’offrir une symétrie parfaite et une belle unité d’ensemble.

La chapelle, marquée par son puissant dôme octogonal est à pans arrondis et est couvert d’ardoises; elle est surmontée d’un lanternon. La façade de la chapelle comporte deux niveaux : le rez-de-chaussée est animé par un portique à 3 arcades séparées par des colonnes ioniques. L’étage se distingue par des pilastres à chapiteaux corinthiens et par un fronton cintré.

L’intérieur de la chapelle frappe par l’ampleur et la pureté des volumes. Le plan en croix grecque est centré sur un choeur octogonal autour duquel s’organisent 4 nefs d’égales longueur et 4 chapelles surmontées de dômes. La coupole est voutée en lambris, totalement dépouillée et dénuée de toute peinture décorative. A la simplicité du peuple répond la sobriété de l’édifice. L’autel était alors au centre de la rotonde surmonté du tambour octogonal. Le chiffre 8 symbolisant l’accomplissement du Salut. Cette disposition permettait de ne pas mélanger les différentes catégories de pensionnaires (séparées selon leur richesse, leur état de santé ou même le sexe auquel elles appartenaient) tout en permettant à tous d’être proches de l’autel afin de suivre la liturgie de manière aisée.

Le 7 novembre 1793, en pleine Terreur, l’église fut pillée et fermée. Elle fut alors transformée en grenier et en écurie ce qui la sauvera de la destruction. Aujourd’hui le mobilier et les oeuvres d’art sont restreints. Notons toutefois un très beau tabernacle du XVIII ème siècle représentant la Cène du Jeudi Saint placé sur la nef orientale coupée en abside et recevant le nouvel autel. Sur le côté droit une ancienne peinture du XVII ème siècle est toujours visible sous forme de grisaille et représente des crânes et crucifix avec la phrase suivante que l’on parvient à déchiffrer : « Qu’ils reposent en paix et que la lumière du ciel les éclairent éternellement » rappelant les cérémonies funèbres qui se tenaient ici. Dans la chapelle du Bon Pasteur ou dans celle de saint Vincent de Paul  (où chaque jour une messe est célébrée) se trouvent encore de beaux tableaux d’Augustin Pajou et de Jean-Baptiste Le Sueur. La chapelle de Ste Geneviève est éclairée par un beau vitrail en grisaille. La chapelle de la Salpêtrière accueille régulièrement expositions, concerts et sert parfois de cadre à des tournages cinématographiques.

L’hôpital de la Salpêtrière est constitué d’autres bâtiments historiques comme le bâtiment de la Grande Force ou encore le Pavillon des Folles témoignant d’un riche et dramatique passé où les prostituées et les folles étaient enfermées dans des conditions inimaginables aujourd’hui… Résonne encore le souvenir de Manon Lescaut qui fût l’hôte bien malgré elle des cellules de la Grande Force ; la grande et la petite Histoire se sont trouvées mêlées à la Salpêtrière tandis qu’au XIX ème siècle Philippe Pinel, qui humanisa le traitement des aliénées, puis Jean-Martin Charcot ont contribué à donner à la Salpêtrière sa renommée internationale. En effet les travaux sur les maladies du système nerveux de Charcot, fondement de la neurologie eurent un retentissent mondial au point que Sigmund Freud, avant de devenir le célèbre fondateur de la psychanalyse, suivit ses cours.

Véritable ville dans la ville la visite de l’hôpital de la Salpêtrière avec son magnifique et méconnu patrimoine accessible à tous, permet de balayer plusieurs siècles d’histoire ; la visite des lieux permet également de découvrir  les débuts de la psychiatrie et de la neurologie.

Classé Monument Historique depuis 1976

La Salpêtrière est visible lors de la visite : « l’hôpital de la Salpêtrière et sa chapelle »