Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier (1887-1965)
Peu d’architectes ont autant suscité de polémiques, sarcasmes et espoirs que Le Corbusier. L’intensité de l’oeuvre de l’architecte pendant six décennies reste confondante. Architecte, urbaniste, décorateur, designer, peintre, sculpteur il est également un théoricien hors pair écrivant de nombreux livres, des centaines d’articles et animant de très nombreuses conférences. On comprend alors qu’il soit difficile de résumer en quelques lignes cette grande figure de l’architecture française qui condense toutes les tensions du XX ème siècle et laisse une oeuvre unique dans sa complexité.
Né en Suisse Charles-Edouard Jeanneret, qui prendra le pseudonyme de Le Corbusier en 1920, descend d’une lignée d’industriels horlogers suisses. En 1900 il entame une formation de graveur ciseleur à l’école d’art de La Chaux-de-Fonds dans le canton de Neuchâtel afin de reprendre le flambeau familial. Des problèmes de vision et le manque de créativité du métier dirigeront le jeune homme vers des études de peinture puis de décorateur et d’architecte. Les voyages qu’il effectuera à partir de 1907 d’abord en Europe le marqueront à tout jamais, surtout la visite de l’acropole d’Athènes. A Paris en 1909 il travaille quelques mois en tant que dessinateur technique auprès des frères Perret qui lui font découvrir le béton armé. Après quelques années en Suisse où il réalise quelques maisons il s’installe définitivement à Paris en 1917 où il mène une vie d’industriel et d’intellectuel en rencontrant un grand nombre d’artistes comme le peintre Amédée Ozenfant. Ce dernier l’initiera à la peinture à l’huile et tous deux exposeront leurs peintures valorisant les formes simples.Tous deux publient « Après le cubisme » manifeste dans lequel ils proposent un programme esthétique vantant les constructions d’un esprit nouveau. Les deux associés rapprochent l’architecture grecque et les usines modernes. Ensemble ils fondent en 1920 la revue « L’esprit nouveau » rendant compte de l’actualité politique, artistique et scientifique. Dans le cadre du retour à l’ordre engagé pendant la guerre, Ozenfant et Le Corbusier sont attachés à la recherche d’un langage épuré, rejettent les abstractions compliquées du cubisme et refusent toute dérive décorative.
En 1922 la venue à Paris de son cousin Pierre Jeanneret architecte et futur designer lui permet de trouver un solide associé pour relancer son activité d’architecte. Les premières réalisations architecturales de Le Corbusier à Paris sont les commandes privées d’une clientèle avide de modernité ou d’artistes fortunés. La décennie 1920-30 le voit réaliser un ensemble remarquable de villas, d’ateliers ou d’habitations manifestes où l’on voit se formaliser les éléments du langage Corbuséens comme ici la maison-atelier que son ami le peintre Amédée Ozenfant lui commande en 1923; elle est la parfaite illustration de sa « période puriste ».
La maison atelier Ozenfant est une transposition partielle de la maison Citrohan, exposée sous forme de maquette en plâtre au salon d’automne de 1922 ; elle préfigure la théorie des 5 points de l’architecture moderne que Le Corbusier mettra au point en 1927. Ici la maison se caractérise avant tout par une standardisation systématique des éléments de construction (ossature, fenêtres, escaliers etc…) L’architecture de la maison Ozenfant s’oppose aux recherches régionalistes ou académiques, reprend l’idée de pureté et exploite la nouveauté apportée par le béton armé enveloppé d’un enduit blanc révélant l’éloquence du volume architectural.
Ici l’espace de la maison atelier n’est ni perdu, ni étriqué. L’espace « puriste » de l’atelier à double hauteur est privilégié par rapport aux pièces d’habitation éclairées par la fenêtre bandeau au niveau inférieur. La blancheur des murs est soulignée par le vide de la double hauteur. C’est bien dans ces ateliers d’artistes où la lumière est magnifiée qu’apparait l’espace moderne après les ateliers surchargés du XIX ème siècle. Ici le peintre s’affranchit des lourdes conventions bourgeoises. A l’origine la grande verrière était recouverte par des sheds vitrés assurant une lumière zénithale; aujourd’hui disparus ils ont été remplacés par une terrasse. Les deux façades d’angle sont traitées avec simplicité, avec de grandes baies vitrées assurant un éclairage optimum. Seul un petit escalier à spirale en béton anime la stricte volumétrie du bâtiment. La maison a été transformée, le garage supprimé, le rythme des fenêtres du rez-de-chaussée changé et les volumes intérieurs cloisonnés.
L’atelier Ozenfant annonce la réalisation de la villa La Roche-Jeanneret exécutée la même année et qui marque un seuil dans la réflexion architecturale de l’architecte attentif aux démarches des avant-gardes européennes…Elle abrite aujourd’hui La Fondation Le Corbusier qui a obtenu en 2016 que l’oeuvre architectural de Le Corbusier soit classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
La maison atelier Ozenfant est visible lors de la visite « Les ateliers d’artistes autour du parc Montsouris »