Jacques Ignace Hittorff et le Cirque d’hiver (Paris 11)

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Jacques Ignace Hittorff (1792-1867)

 

Injustement méconnu Jacques Ignace Hittorff est pourtant l’un des plus grands architectes du Paris Haussmannien avec des aménagements et des réalisations phares dans la capitale.

 Hittorff est né à Cologne en Allemagne en 1792 . Il devient citoyen français lors de l’annexion de la ville à la République Française en 1801. Il jouit alors du privilège de pouvoir étudier à l’école impériale des Beaux-Arts de Paris où il entre dans l’atelier de Charles Percier. En 1814, à la chute de l’Empire, les provinces rhénanes sont attribuées à la Prusse et Hittorff redevient un étranger; il ne peut alors espérer préparer le concours du grand prix de Rome aussi part il en Sicile où il entreprend des fouilles et reconstitutions archéologiques à partir de 1822. Ce séjour et ces travaux seront déterminants sur son architecture. A son retour à Paris en 1824, il présente aux membres de l’académie des Beaux-Arts le fruit de ses recherches, à savoir l’assurance de la polychromie des édifices antiques. Sa théorie sur la coloration intégrale des édifices antiques est révolutionnaire et rompt totalement avec les préceptes esthétiques de l’idéal néo-classique à savoir des bâtiments purs et blancs. Ce discours va provoquer de nombreux débats et querelles pendant de nombreuses années. La carrière de Hittorff prend un réel envol avec l’agencement de la place Louis XV (place de la Concorde) en 1836, après avoir entamé la construction de l’imposante et décorative église St Vincent de Paul. Il conçoit ensuite l’avenue des Champs Elysées en 1838. Retrouvant la nationalité française il entre à l’académie des Beaux-Arts et en 1850 réalise la mairie du 5 ème arrondissement, le cirque d’Hiver puis la fondation Eugène Napoléon. Traversant les régimes politiques il gagne la faveur de l’Empereur et devient l’architecte du bois de Boulogne et crée l’avenue de l’Impératrice (avenue Foch). Après la mairie du 1 er arrondissement en 1858, la reconstruction de la gare du Nord (1861-66) sera son ultime grande réalisation et l’un des plus beaux bâtiments parisien en alliant la monumentalité d’un bâtiment de style néo-classique à la technique innovante de l’acier.

 

Hittorff est un architecte néo-classique actif sous la monarchie de Juillet et sous le second Empire. Comme les architectes de sa génération il va revenir aux sources de l’architecture inspirée des monuments antiques, redécouverts lors de fouilles menées à la fin du XVIII ème siècle. Mais Hittorff va travailler à une époque charnière, il va dépasser le modèle classique sévère et immaculé pour l’enrichir de la couleur et d’éléments sculptés tels que les fouilles archéologiques ont pu lui révéler. De plus, comme ses contemporains davantage passés à la postérité comme Henri Labrouste ou Victor Baltard, Jacques Ignace Hittorff s’intéresse aux nouveaux matériaux comme la fonte puis le fer qu’il va intégrer à son architecture classique (gare du Nord).

 

Le cirque d’hiver fut commandé à l’architecte en 1852 par Louis Dejean alors directeur du cirque des Champs Elysées. Il veut un second cirque pour la saison froide, à une époque où le cirque était équestre et où on construisait de véritables temples à cet art. Le cirque des champs Elysées, déjà bâti par Hittorff, est un cirque d’été, en matériaux légers, impraticable l’hiver. Un nouveau cirque est donc commandé afin de continuer d’émerveiller le public tout au long de l’année. Le nouveau bâtiment doit être un palais digne des mille et une nuits et seul Hittorff aux yeux de Dejean peut relever le défi. Dejean veut rester dans la tradition du cirque olympique  tout en touchant un public plus large c’est pourquoi il choisit un quartier à la limite de la ville, boulevard du Temple, quartier populaire où se trouvent de nombreux estaminets, restaurants et théâtres aux programmes dramatiques d’où son surnom de « boulevard du crime ».

Les travaux débutèrent en avril 1852 et s’achevèrent moins de 10 mois plus tard en décembre 1852. Le bâtiment est formé d’un polygone à 20 pans rythmé à chaque angle par des colonnes à chapiteaux corinthiens. Deux frises de bas-reliefs sur le thème du cheval évoquent les activités équestres tandis que se dressent de part et d’autre de l’entrée principale des statues en fonte, une amazone du sculpteur James Pradier et un guerrier antique de Bosio érigées à la gloire de l’art équestre. Les couleurs (plus vives à l’origine) marquent les divisions de l’architecture et ont valeur de publicité, attirent le regard dans une ville traditionnellement de pierre et de plâtre. Hittorff on l’a vu, a été particulièrement marqué par l’architecture antique grecque; ainsi les sculptures qui courent sur le pourtour du bâtiment sont aussi une évocation des frises du Parthénon qui vient d’être transporté à Londres. C’est également une mise en scène d’histoires avec chevaux et personnages qui évoquent le monde du cirque, comme les acrobates. On transpose ici le monde grec antique au monde contemporain. Le bâtiment était éclatant de couleurs : Hittorff a toujours insisté sur la polychromie des bâtiments grecs. La couleur est appliquée dans ses monuments lorsque c’était possible; les temples étaient colorés, pourquoi les églises ne le seraient elles pas? (Eglise St Vincent de Paul). Ici la couleur se rattache à l’idée d’un lieu lié au plaisir, au divertissement.

Inauguré le 11 décembre 1852 par l’empereur Napoléon III le cirque prendra le nom de Cirque Napoléon. A l’intérieur le bâtiment reçoit un décor fastueux avec bois précieux, marbres, peintures, tentures, nombreux lustres et un système de chauffage très innovant. A la chute de l’Empire en 1870 l’édifice devient Cirque National et accueille des réunions patriotiques et révolutionnaires. Après bien des péripéties et des changements de destination (le cirque a été acheté par la firme Pathé en 1907) le bâtiment devient propriété de l’illustre famille des frères Bouglione en 1934  retrouvant sa vocation première de cirque même si les spectacles aujourd’hui diffèrent beaucoup des premières représentations du Second Empire.

L’originalité et la grandeur de Jacques Ignace Hittorff résident dans la maitrise de son art et son aptitude à intégrer les techniques nouvelles dans ses constructions. Il ne copie pas, il n’imite pas, il adapte les modèles antiques aux exigences de son siècle et ses travaux sur la polychromie ont fait de lui le maitre indiscuté de la couleur. Longtemps oublié du panthéon des architectes du XIX ème siècle ( l’hostilité délibérée d’Haussmann à son égard y est certainement pour quelque chose) ajoutée à la perte irréparable d’une grande partie de ses archives peuvent expliquer cette injuste mise à l’écart.

Jacques Ignace Hittorff mérite cependant d’être reconnu car Paris lui doit beaucoup!

 

Monument classé MH depuis 1975

Le Cirque d’hiver est à découvrir lors de la visite « Sur les terres du Temple »