Auguste et Gustave Perret et l’immeuble du 25 bis rue Franklin (Paris 16)

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Auguste Perret (1874-1954)

La carrière d’Auguste Perret commence durant ce qu’on appelle « la Belle Epoque » une période particulièrement riche et prospère pendant laquelle vont s’épanouir un certain nombre de progrès techniques propres à révolutionner l’art et l’architecture. Parmi ces découvertes, le béton armé que l’architecte va totalement adopter au point que ce matériau définira l’esthétisme moderne de Perret.

Issu d’un milieu ouvrier (son père était tailleur de pierre) et révolutionnaire mais ouvert aux vertus de l’éducation le jeune Auguste s’est passionné très tôt pour Paris en s’y perdant et en visitant les musées. Tout en se formant avec ses frères Claude et Gustave aux côtés de leur père qui avait  une entreprise générale de construction, Auguste Perret entre comme plus tard son frère Gustave, à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1891. Après des études brillantes où il reçu de nombreux prix, Perret fait le choix de ne pas suivre la trajectoire classique des Beaux-Arts à savoir présenter le concours du prix de Rome; il décide même de quitter l’école sans attendre l’obtention de son diplôme qui lui aurait pourtant permit d’exercer officiellement la profession d’architecte. C’est étrange mais un choix délibéré; content d’avoir le savoir théorique il ne voulait pas s’encombrer d’un statut ; il préférait l’indépendance comme son père.  En effet le titre d’architecte l’aurait empêché d’être entrepreneur (loi Guadet) or Auguste Perret se félicitait d’être à la fois architecte et constructeur et pouvoir suivre d’un bout à l’autre la construction; ainsi il revendique les deux compétences. L’école des Beaux-Arts assurera en effet à Perret une solide culture classique qui définira autant son architecture que le béton armé. Les frères Perret s’intéressent au béton armé et visitent les chantiers où il était mis en oeuvre comme celui de l’exposition universelle de 1900. Les bâtiments phares comme le Grand et le petit Palais présentaient d’immenses planchers dans ce nouveau matériau. C’est d’ailleurs cette manifestation qui va marquer l’émergence du béton armé en France.

En 1903 lorsque débute la construction de l’immeuble de la rue Franklin, Auguste et Gustave Perret achèvent d’autres immeubles d’habitation en pierre, traditionnels (avenue de Wagram et Avenue Niel dans le XVII ème arrondissement) pour l’entreprise familiale appelée « Perret et fils ». En choisissant le béton armé comme ossature à leur immeuble les Perret furent extrêmement audacieux. En effet il faut bien comprendre que ce matériau, perçu comme dangereux était jusque là utilisé pour les usines, les gares, les entrepôts etc…et encore jamais encore utilisé pour un immeuble d’habitation. Auguste Perret bien que convaincu par les possibilités techniques du matériau était encore novice quant à sa maitrise aussi va t’il confier à un sous-traitant le gros oeuvre qui utilisera le système de béton armé Hennebique. Le chantier de la rue Franklin sera un véritable laboratoire expérimental pour les frères Perret qui vont y saisir toutes les spécificités de ce nouveau matériau.

La parcelle à construire est minuscule, 200 m2 et de surcroit étroite, mais elle offrait un panorama superbe sur la tour Eiffel. La parcelle étant trop étroite pour une construction traditionnelle en maçonnerie, le béton armé fut choisi d’autant plus que c’est un matériau réputé économique et résistant au feu. L’immeuble présente deux innovations majeures: tirant parti du récent règlement de 1902 permettant aux architectes une interprétation plus libre des règlementations urbanistiques, les frères Perret reportent du côté de la rue la cour placée habituellement à l’arrière; c’est pour remédier à la faible profondeur de la parcelle qu’une cour intérieure aurait encore comprimé, que toutes les pièces d’habitation sont orientées vers la rue. La cour fermée, devenue inutile est remplacée à l’arrière par un mur de briques de verre et éclaire l’escalier. L’autre innovation est la structure en béton (poteaux, poutres) qui est à la fois exhibée et masquée: Perret laisse apparents les lignes principales de l’ossature de béton mais des carreaux lisses et claires en couvrent une partie ce qui contribue à l’affiner tandis que les carreaux à motifs végétaux cachent les trumeaux et les pleins des traverses. Alors qu’à la même époque les façades avaient tendance à faire saillie sur la rue avec les bow-windows grâce aux nouveaux décrets, ici la façade se creuse pour entourer une petite cour intérieure; elle se brise en diverses facettes tandis qu’au dessus de la corniche se multiplient de petits volumes. Le revêtement, réalisé en carreaux de grès flammé du grand céramiste de l’époque Alexandre Bigot, était à ce moment là absolument nécessaire d’après Perret, afin de protéger un matériau encore fragile et perméable aux intempéries. Mais Perret ne cessera de dire toute l’attention qu’il a porté à l’application de ces carreaux de grès en choisissant tel ou tel motif afin d’affirmer l’ossature. Il fait une distinction essentielle  entre les parties porteuses et le remplissage. Cette distinction est signalée par le décor uni sur les parties porteuses et à motifs sur les parties de remplissage. Cette même ossature en béton armé va permettre à Auguste Perret d’élever un bâtiment à 33 mètres et 9 étages mais avec un seul appartement par niveau à cause de l’étroitesse du terrain. Les possibilités techniques du matériau vont permettre à l’architecte un dessin complexe de la façade concave permettant de développer 5 pièces principales en façade, largement éclairées par de grandes baies vitrées, alors qu’on n’aurait pu ne faire que 4 pièces avec une façade classique plate. Il fallait au maximum tirer partie de la vue magnifique.

A l’intérieur la structure de poteaux et poutres permet de libérer les murs de leur rôle porteur et autorise le plan libre. Le plan ne remet pas en cause les principes de distribution de l’architecture domestique de l’époque. Le plan des appartements comporte 3 pièces d’habitation en enfilade (typiquement français) salon au milieu, flanqué d’une salle à manger et d’une chambre, prolongées à l’avant par 2 pièces bow-window pour former une figure en U. La bande de service (cuisine, office, dégagement, escalier et sanitaires) forme un tampon entre les pièces en enfilade. On a donc à l’intérieur des volumes classiques mais leur ouvertures les uns par rapport aux autres sont inédites avec les portes coulissantes qui peuvent se fermer ou être totalement ouvertes pour se transformer en pièces de réception. Au rez-de-chaussée du bâtiment les frères Perret installeront leur agence d’architecture.

 

L’équilibre entre architecture et construction est trouvée par un traitement classique de la structure comme en témoigne le vocabulaire, la symétrie, les rythmes et les proportions. Aujourd’hui ce bâtiment est reconnu comme un jalon majeur de l’histoire de l’architecture avec la première application du plan libre. Cette liberté spatiale permise par la technique du béton armé a été saluée par les architectes modernes quelques années plus tard. Le Corbusier qui travailla dans l’atelier des Perret en 1909 y apprendra le béton et fera de ce plan libre l’un des 5 points de sa théorie de l’architecture moderne.

 

A quelques mètres de là, une maquette exposée à la Cité de l’Architecture permet de voir les détails de l’immeuble des Perret de la rue Franklin.

Cet immeuble est présenté lors de la visite : « la Belle Epoque; démonstration dans le quartier de Passy »